Romanica Olomucensia 2022, 34(2):303-322 | DOI: 10.5507/ro.2022.025
Le zèle autobiographique dans Aurélia de Gérard de Nerval
- Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, Morocco
La critique consacrée à l'Aurélia de Gérard de Nerval, publiée dans le numéro précédent de cette revue, amorce une esquisse thématique de l'œuvre par l'examen de deux fonctions de la « douleur » dans le récit, soit une fonction « constituante » et une autre « instituante ». L'analyse proposée ici s'interroge plutôt sur son inscription dans la poétique du genre de l'autobiographie. Dans une perspective comparatiste combinant trois angles d'attaque dans son poing critique, l'esthétique de la réception, la narratologie et la linguistique énonciative, le présent article pose, à partir du Pacte autobiographique de Lejeune, une ligne de démarcation entre Aurélia et Les Confessions de Rousseau. Cette distance est mesurée par le déploiement de certaines catégories d'analyse narratologique indiquant la singularité de l'œuvre nervalienne vis-à-vis du modèle générique. Même si Aurélia s'aligne parfaitement avec les codes de l'autobiographie définis par Lejeune, elle dépasse pourtant la géométrie du genre par un projet esthétique fondé dans l'urgence, une composition fragmentaire et hétérogène du « je » auteur-narrateur, une temporalité narrative enracinée dans un instant arraché au moment présent, pour s'inscrire dans une écriture poétique plus complexe. Ainsi, le récit nervalien échappe au schéma de configuration du genre dans sa conception lejeunienne. Si l'identité et le pacte autobiographique forment des éléments constitutifs de l'unité de l'autobiographie en tant que « genre contractuel », ces critères jugés normatifs semblent néanmoins centrés exclusivement sur « la publication » ; ils sont donc loin de fonder une catégorie littéraire homogène, digne d'une science de la « poétique ».
Mots clés: autobiographie ; énonciation ; esthétique ; identité ; narratologie ; pacte autobiographique ; poétique ; temporalité
Autobiographical zeal in Aurélia by Gérard de Nerval
The critique devoted to Gérard de Nerval's Aurélia, published in the previous issue of this journal, begins a thematic sketch of the work by examining two functions of "pain" in the narrative, a "constituting" function and another "instituting" one. The analysis proposed here rather questions its inscription in the poetics of the genre of autobiography. From a comparative perspective combining three angles of attack in the author's critical fist, the aesthetics of reception, narratology, and enunciative linguistics, this article draws, starting from Lejeune's Autobiographical Pact, a line of demarcation between Aurélia and Rousseau's Confessions. This distance is measured by the deployment of certain categories of narratological analysis indicating the singularity of the Nervalian work vis-à-vis the generic model. Even if Aurélia aligns perfectly with the codes of autobiography defined by Lejeune, it nevertheless goes beyond the geometry of the genre by an aesthetic project founded in urgency, a fragmentary and heterogeneous composition of the "I" author-narrator, a narrative temporality rooted in an instant torn from the present moment, to be part of a more complex poetic writing. Thus, the Nervalian narrative escapes the schema of the configuration of the genre in its Lejeunian conception. If identity and the autobiographical pact form constitutive elements of the unity of the autobiography as a "contractual genre", these criteria, which are considered normative, nevertheless seem to focus exclusively on "publication"; They are therefore far from founding a homogeneous literary category, worthy of a science of "poetics".
Keywords: autobiography; enunciation; aesthetic; identity; narratology; autobiographical pact; poetic; temporality
Received: September 3, 2022; Revised: December 8, 2022; Accepted: December 9, 2022; Published: December 20, 2022 Show citation
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